jeudi 7 mai 2009

Création des unités de circulation routière en 1916

Le 17 avril 1913, le général Joffre, chef d'état-major général de l'armée, signe une instruction provisoire sur l'utilisation des véhicules automobiles en temps de guerre. Ce texte fixe les règles d'emploi des véhicules et la tactique de marche des convois automobiles.

À la veille de la Première Guerre mondiale, l'armée ne dispose que de 170 véhicules automobiles. Elle n'envisage pas de transports militaires importants par ce moyen. A cette époque presque tout les déplacements s'effectuaient encore à cheval.

Le 2 août 1914 est créé le service automobile des armées . Dès sa création, le service automobile est organisé en unités appelées "sections automobiles".
  • sections de transport de matériel ™, principalement le ravitaillement des unités en vivres ou en munitions,
  • sections de transport de personnel (TP),
  • sections de ravitaillement en viande fraîche (RVF),
  • sections sanitaires (SS),
  • sections de transport de matériel routier (TMR),
  • sections de transport de personnel télégraphique (TPT)
  • sections de parc (SP), pour l'entretien des véhicules.
Les sections sont réunies par quatre pour constituer un groupe, rassemblant de 70 à 80 véhicules, commandé par un capitaine. Un groupement se compose de cinq à six groupes.
- 1915 : 1 groupement (avril) / 5 groupements (décembre)
- 1916 : 13 groupements
- 1917 : 20 groupements
- 1918 : 25 groupements (juillet)
En complément, la réserve, composée de deux à trois groupements, constitue une force disponible à tout instant pour assurer les transports non planifiés.
Ayant commencé la guerre avec moins de 200 véhicules l'Armée française l'aurait fini avec près de 92000 camions.

Verdun 1916 : la guerre s'est installée dans la durée. Le sort des armes n'a tranché ni pour l'un ni pour l'autre camp. La France tient le coup, mais au prix de pertes humaines considérables.
Prenant les devants, en février 1916, l'Allemagne décide de lancer une offensive. Le choix du général von Falkenhayn, chef d'état-major des armées allemandes, se porte sur Verdun. Ce saillant de la ligne de front, mal relié à l'arrière et difficile à ravitailler du côté français, peut en effet être pris sous des feux convergents de l'artillerie allemande.

Le 21 février 1916, à 7 h 15, le bombardement commence. La bataille de Verdun va durer 300 jours et 300 nuits. Par chance, le 20 février 1916 (la veille de la bataille), à Verdun, se rendant compte de la menace grandissante, l'Armée française venait de créé les premières unités chargées de la régulation du trafic (Commission de Régulation Automobile).

Les communications vont jouer un rôle vital dans la résistance française à l'offensive allemande. En effet, le système de défense adopté repose en particulier sur une rotation des unités, des "troupes fraîches" venant régulièrement relever les troupes en ligne. En outre, il convient d'assurer le ravitaillement rapide et constant de la zone des combats en matériels, munitions et vivres. Il importe donc que ceux-ci puissent être rapidement acheminés vers le front, les unités relevées et les blessés tout aussi rapidement évacués.

Si, du côté allemand, un important réseau d'une dizaine de voies ferrées dessert le front, du côté français, Verdun est un cul-de-sac. Seules deux lignes de chemin de fer et une route départementale relient le front à l'arrière. Or, ces voies ferrées sont inutilisables ou peu performantes. La ligne normale Paris-Verdun par Sainte-Menehould, trop proche du front, est périodiquement coupée par les tirs d'artillerie adverses, tandis que le réseau ferré d'intérêt local à voie étroite, le "Meusien", ne peut transporter plus de 800 tonnes par jour alors que les besoins sont dix fois plus grands. La réorganisation du réseau ferré, engagée sans tarder, ne peut cependant résoudre la situation qu'à long terme.Dans l'immédiat, le transport des troupes et des munitions repose donc sur l'unique route de Bar-le-Duc à Verdun, d'une soixantaine de kilomètres de long et de 7 mètres de large, sinueuse et mal empierrée. Pendant toute la durée du cauchemar de la bataille de Verdun les camions et les véhicules du service automobile des armées ont maintenu en vie l'armée et la ville via la seule route ouverte, celle qu'on appelera la Voie Sacrée. La tâche était énorme.


Colonne marquant le début de la voie sacrée dans la citadelle de Verdun

Chaque semaine 90000 soldats, montant au font ou en revenant, devaient marcher dans les champs pour quitter la route ouverte aux 6000 camions qui ont y circulaient jour et nuit. Si un camion tombait en panne, il était jeté dans le fossé pour permettre le rétablissement de la circulation qui ne devait absolument pas s'interrompre.

Région de Verdun, printemps 1916. La circulation dans les deux sens s'effectue
tandis que les territoriaux entretiennent continuellement la route.

Verdun, 8 avril 1916. Troupes revenant du feu et partant au repos

File de camions sur la "voie sacrée"

Sur la Somme en juillet 1916, les transports automobiles y eurent pendant les trois mois la charge de tous les ravitaillements et de toutes les relèves. En novembre 1917, pour soutenir une attaque lancée par les Anglais, le commandement décida brusquement une opération du type "Voie Sacrée". En 24 heures fut monté (en collaboration avec le chemin de fer) le transport de 3 divisions au complet sur 140 kilomètres.

Ce sont ces transports de 1917 ajoutés à l'expérience de Verdun qui permirent de concevoir l'organisation de 1918 et de tenir tête aux différentes offensives allemandes de mars-avril, et d'assurer les offensives alliées à partir de juillet. Ce qui permit d'atteindre un record jamais espéré par le commandement : en juillet 1918, le service automobile a transporté 1.200.000 tonnes et 1 million d'hommes.

De 1916 à 1920 - Fusion du service automobile avec l'arme du Train et des Équipages militaires.

Monument dédié au Train des Équipages militaires, Nixéville, à 10 km
au sud-ouest de Verdun.
Aujourd'hui encore l'usure des brassards d'épaule verts et blanc des unités de circulation portent le témoignage de ces jours glorieux.

Témoignage d'un conducteur de l'époque :

Nous habitons, depuis trois mois, une petite ville de montagne, à quelques kilomètres de l'ancienne frontière alsacienne, et nous ravitaillons par le col de B... les troupes échelonnées dans la vallée de St-A., jusqu'à T. les routes sont relativement bonnes, très supérieures aux abominables chaussées pavées que j'ai connues dans le Pas-de-Calais, dans le Nord et dans la Belgique occidentale. Des équipes de territoriaux et de cantonniers travaillent d'ailleurs à l'entretien et à la réfection de ces voies, continuellement défoncées par un roulage intense ainsi que par les lourdes charges de l'artillerie.
Nous avons « bûché », naguère, dans des conditions particulièrement fatigantes. Il nous est arrivé de marcher pendant 72 heures consécutives sans connaître d'autre repos qu'un sommeil fiévreux, hâtivement pris, entre deux transports, sur le siège de nos voitures. Quant aux repas consommés sur le pouce — je veux dire, pour plus de précision, sur le garde-crotte — je ne vous en parle que pour mémoire. Nous avalions à ce moment, faute d'une nourriture plus substantielle, 150 à 200 kilomètres par jour sous la neige et la pluie, les mains engourdies et machinalement crispées au volant, les reins brisés par la trépidation. Ajoutez que nous roulions, la nuit, sans phares, et que nos yeux, éblouis par les projections des forts environnants, s'exaspéraient à suivre un itinéraire souvent difficile et périlleux.
Certes, nous avons besoin d'hommes solides et particulièrement entraînés pour résister à ce terrible surmenage. Sept ou huit de nos conducteurs, qui se trouvaient dans des conditions de moins-value physique, n'ont pu résister bien longtemps et nous avons dû les évacuer sur l'hôpital le plus proche.
Dieu merci, nous sommes maintenant un peu plus tranquilles. Nous dormons et surtout nous mangeons. A cet égard le camion-cuisine de la section, aménagé comme une roulotte de bohémiens, nous rend, dans nos déplacements, de précieux services. Nous chargeons chaque matin à la gare de X... ce que nous destinent, à tour de rôle, les services de l'intendance, de l'artillerie et du génie. Pour l'intendance, ce sont les charbons, les vins, les farines, les conserves, les pommes de terre et les légumes secs (ravitaillement dit « éventuel »). Pour l'artillerie, les obus, les grenades, les lance-bombes, etc.. Pour le génie, les fils de fer barbelés, les pieux, les cisailles, les tôles ondulées, les madriers, les baraquements démontables, tout l'outillage et toute la quincaillerie qu'exige l'aménagement de nos tranchées, de nos forts et de nos postes avancés.
La charge de nos camions varie entre 2.500 et 3.000 kilos. Ainsi lestés, nous acheminons la marchandise aux points voulus, souvent à faible distance des lignes de feu. Nous déchargeons et nous revenons au cantonnement. Nous faisons la navette, de la sorte, jusqu'à deux ou trois fois par jour. Je vous assure que nous ne chômons guère et que nos pauvres camions sont soumis à de rudes épreuves. Vous aurez une idée de la besogne accomplie quand vous saurez que notre seule section consomme journellement une moyenne de 550 litres d'essence!...
Cette existence serait monotone si nous n'avions pas parfois quelques surprises. Encore que les bâches de nos voitures soient extérieurement tapissées de branches de sapin, pour en diminuer la visibilité aux yeux de l'adversaire, il arrive assez fréquemment que nous soyons découverts par les Taubes et les Aviatiks. Nous recevons des bombes, mais elles ne nous ont pas fait grand mal jusqu'à présent.
Une section voisine, mitraillée, ces jours derniers, près de N..., a subi d'appréciables dommages; la nôtre est indemne ou peut s'en faut.
L'autre jour, toutefois, nous l'avons échappé belle. Repérés par les fusées d'un avion boche, pendant que nous déchargions à la station de W..., nous étions, cinq minutes après, arrosés par une vingtaine d'obus dont quelques-uns éclatèrent à 20 mètres de nos voitures et brisèrent les vitres de la gare.
En pareil cas, les conducteurs s'abritent comme ils peuvent. Au coup de sifflet des sous-officiers ils se couchent sous le châssis, puis, l'alerte passée, ils se comptent et reprennent leurs postes, non sans railler allègrement l'inutile pétarade...
N'empêche que nous voudrions bien changer un peu d'itinéraire et de paysage. La vallée de Saint-A., si riante qu'eue soit en la saison des fleurs, commence à lasser notre admiration bi-quotidienne. Quand pourrons-nous désaltérer nos radiateurs à l'eau du Rhin ?... »

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